Je vous écris au nom de la Confédération régionale africaine de la Confédération syndicale internationale (CSI-Afrique, https://www.ituc-africa.org/), représentant 18 millions de travailleurs syndiqués dans 52 pays africains. Je souhaite vous faire part de ma profonde inquiétude face aux abus et aux violations flagrantes des droits des travailleurs migrants par l’Arabie saoudite. Une telle situation pourrait s’aggraver avec le projet de l’Arabie saoudite d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA en 2034. Bien que la candidature de la Fédération saoudienne de football ait recueilli un soutien important, nous devons nous pencher sur le bilan alarmant du Royaume en matière de droits de l’homme et de droits des travailleurs, en particulier en ce qui concerne les travailleurs migrants africains.
Monsieur le Président, comme vous le savez peut-être, l’Arabie saoudite est depuis longtemps critiquée pour le traitement qu’elle réserve aux travailleurs migrants, qui sont victimes d’une exploitation et d’abus graves. Des rapports font état de travail forcé, de confiscation de passeports, d’heures de travail excessives sans repos, d’abus physiques et verbaux, ainsi que de restrictions à la liberté de mouvement et de communication. Ces pratiques sont contraires aux normes internationales du travail, notamment à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé, que l’Arabie saoudite a ratifiée en 1978. Le Global Slavery Index 2023 (édité par la Walk Free Foundation) met en évidence la forte prévalence de l’esclavage moderne dans la région des États arabes, notamment en Arabie saoudite, en raison de pratiques économiques et de discriminations systémiques qui perpétuent les conditions de travail forcé.
L’Arabie saoudite applique toujours le système de la kafala. Ce système, qui repose sur le parrainage, lie les travailleurs migrants à leurs employeurs et leur donne un contrôle étendu sur leur statut juridique et leurs conditions de travail. Ce système a favorisé de nombreux abus, notamment des restrictions sévères à la liberté de mouvement des travailleurs et à leur capacité à changer d’emploi, la confiscation des passeports, le refus de payer les salaires et les menaces d’expulsion, enfermant de fait les travailleurs dans des situations d’exploitation. Malgré les réformes récentes, le système de la kafala continue d’exposer les travailleurs au travail forcé et à de graves violations des droits de l’homme. Il est largement admis que le système de la kafala en Arabie saoudite encourage, perpétue et pérennise les pratiques d’esclavage moderne.
Dans le Royaume d’Arabie saoudite, les travailleurs migrants, en particulier les Africains, sont soumis aux traitements humains les plus grossiers et les plus brutaux. Il semble normal que les travailleurs migrants africains fassent l’objet de toutes sortes de discriminations, de haine et de traitements extrémistes et racistes de la part de leurs employeurs saoudiens. Les travailleuses sont victimes de harcèlement et de violence sexuelle, verbale et physique. Les travailleurs migrants africains sont régulièrement menacés pour qu’ils se taisent et ne revendiquent pas leurs droits. Dans le cas contraire, ils s’exposent aux conséquences désastreuses de nouveaux abus. Une travailleuse migrante africaine qui refusait de se taire au sujet des retards, des dénis et des vols de salaires a connu une fin brutale et fatale lorsqu’elle a été immolée par le feu pour dissuader d’autres personnes.
Monsieur le Président, ces accusations ne sont ni frivoles ni fabriquées de toute pièce. Bien entendu, le monde entier sait que le Royaume d’Arabie saoudite s’est également rendu coupable d’attaques impitoyables contre ses citoyens (l’affaire Jamal Khashoggi et la flagellation publique de femmes réclamant le droit de conduire). La CSI-Afrique a également mené des recherches approfondies et recueilli des preuves sur les conditions de travail et de vie des travailleurs migrants en Arabie saoudite. Afin de mettre en lumière la situation désastreuse des droits de l’homme et des droits des travailleurs migrants africains en Arabie saoudite, nous partageons avec vous six témoignages de différents travailleurs migrants africains. Il y en a beaucoup d’autres.
Travailleuse Y - Travailleuse éthiopienne : « Je suis arrivée en Arabie saoudite dans l’espoir de travailler comme employée de maison. Mon employeur a confisqué mon passeport dès mon arrivée. Dès le premier jour, mon employeur m’a fait travailler de tôt le matin jusqu’à tard le soir, sans aucune pause. La maison était grande et je devais faire le ménage toute la journée sans interruption. Mon employeur a retenu mon salaire pendant les six premiers mois, et mes tentatives pour quitter la maison ont été accueillies par des menaces de violence et d’expulsion. Il me rappelait constamment que j’étais dans son pays et que je n’avais aucun droit.
Travailleuse T - Travailleuse kenyane : « On m’avait promis un emploi bien rémunéré, mais j’ai fini par travailler 18 heures par jour comme femme de ménage. Mon employeur m’enfermait dans la maison chaque fois qu’il partait pour s’assurer que je ne pouvais pas m’échapper. J’ai été agressée verbalement et physiquement lorsque j’ai demandé mon salaire. Je vivais dans une petite pièce sans fenêtre au sous-sol. Je ne pouvais pas contacter ma famille ni demander de l’aide parce que mon employeur m’avait confisqué mon téléphone et m’avait interdit d’utiliser Internet ou de passer des appels téléphoniques.
Travailleur C - Travailleur tanzanien - « J’ai été embauché comme cuisinier, mais j’ai fini par travailler comme ouvrier. Mon employeur m’a enfermé dans la maison et m’a fait travailler de longues heures sans me payer. Il me battait lorsque je demandais mon salaire et me refusait tout traitement médical pour les blessures que j’avais subies du fait de mon travail et des violences physiques qu’il m’infligeait. On m’a fait faire le ménage, la cuisine et des travaux manuels, souvent avec peu ou pas de sommeil. Les violences physiques et psychologiques étaient accablantes. »
Travailleur R - Travailleur somalien - « Je suis allé en Arabie saoudite pour travailler comme nettoyeur, mais j’ai été traité comme un prisonnier. Mon employeur a gardé mon passeport, m’a fait travailler sans pause et m’a constamment menacée. Je n’avais pas le droit de quitter la maison ni de parler à qui que ce soit à l’extérieur. L’isolement était dévastateur et je n’avais pas accès à ma famille ni à mes amis. La peur et les abus constants ont lourdement pesé sur ma santé mentale.
Travailleur Z - Travailleur nigérian - « On m’avait promis un emploi de chauffeur, mais j’ai fini par travailler comme ouvrier dans des conditions épouvantables. Mon employeur a confisqué mon passeport et m’a menacé de me faire du mal si je n’obtempérais pas. Je travaillais de longues heures sans nourriture ni repos. Le travail était physiquement éprouvant et je n’ai pas pu m’échapper ni demander de l’aide. La peur des représailles m’a poussé à me taire et à rester docile. »
Monsieur le Président, c’est en raison de cette situation désastreuse des droits de l’homme que nous demandons à votre honorable Fédération de football, membre de l’instance dirigeante du football mondial, la FIFA, de l’obliger à respecter son engagement en faveur des droits de l’homme, tel qu’il est inscrit dans ses statuts et renforcé par la politique de la FIFA en matière de droits de l’homme, qui met l’accent sur la protection des droits de l’homme dans toutes ses activités. Nous citons le principe D comme un principe essentiel dans le processus d’appel d’offres.
d) Engagement envers les principes des droits de l’homme et de gestion durable des événements : Dans le cadre de la procédure de candidature et de l’organisation des compétitions finales de la Coupe du Monde de la FIFA 2030 et de la Coupe du Monde de la FIFA 2034, la FIFA s’engage pleinement à mener ses activités conformément aux normes et pratiques de gestion durable des événements (conformément à la norme ISO 20121), aux principes relatifs à la protection des droits de l’enfant et des adultes à risque et au respect des droits de l’homme internationalement reconnus, conformément aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
L’organisation de la Coupe du monde dans un pays où les droits de l’homme sont bafoués, comme c’est le cas pour les travailleurs migrants en Arabie saoudite, violerait ces principes et ternirait la réputation du beau jeu.
Alors que la FIFA s’apprête à voter, le 11 décembre 2024, pour ratifier la désignation de l’Arabie saoudite comme pays hôte de la Coupe du monde de la FIFA 2034, la CSI-Afrique demande à la CAF d’exhorter la FIFA à adopter une position ferme en matière de droits de l’homme et de droits des travailleurs. La FIFA doit s’assurer que les droits et la dignité de tous les travailleurs, en particulier les travailleurs migrants africains, soient respectés et protégés. La prochaine Coupe du monde est une opportunité pour la CAF de s’assurer que la FIFA utilise son influence pour encourager des réformes significatives et durables en Arabie saoudite.
Monsieur le Président, afin d’améliorer le bilan médiocre en matière de droits de l’homme et de droits des travailleurs, la CSI-Afrique recommande ce qui suit :
1. Des réformes globales de la législation du travail : la CAF et la FIFA devraient exiger de l’Arabie saoudite qu’elle mette en oeuvre des réformes globales, inclusives et concertées du code du travail, y compris l’abolition du système de la kafala, afin de protéger les droits des travailleurs migrants.
2. L’application de la législation du travail : la CAF et la FIFA devraient veiller à ce que l’Arabie saoudite applique son droit du travail et offre une protection adéquate à tous les travailleurs, en leur garantissant des salaires équitables, des horaires de travail raisonnables et des conditions de travail sûres.
3. Un organe de surveillance indépendant : la FIFA devrait exiger la création d’un organe de surveillance indépendant chargé de superviser le traitement des travailleurs impliqués dans la préparation et l’organisation de la Coupe du monde et de veiller au respect des normes internationales du travail.
4. Une représentation des travailleurs : la CAF et la FIFA devraient encourager la mise en place de mécanismes permettant aux travailleurs de s’organiser librement et de négocier collectivement afin d’améliorer leurs conditions de travail. L’Arabie saoudite
doit garantir les droits des travailleurs migrants à la liberté de circulation, de communication et d’association. Cela doit inclure la fin immédiate de la confiscation des passeports et des restrictions sur la capacité des travailleurs à chercher de l’aide et à signaler les abus.
5. Un engagement en matière de droits de l’homme : la FIFA devrait faire de l’engagement de l’Arabie saoudite en matière de droits de l’homme un critère essentiel de sa candidature, en exigeant des actions concrètes et des calendriers précis pour améliorer les droits et les conditions des travailleurs migrants.
6. L’obligation redditionnelle et la transparence : la FIFA devrait exiger de l’Arabie saoudite qu’elle fournisse des rapports réguliers sur les progrès réalisés en matière de réforme de la législation du travail et de traitement des travailleurs, afin de garantir la transparence et l’obligation redditionnelle quant au respect des droits de l’homme.
En conclusion, le privilège d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2034 s’accompagne d’une responsabilité en matière de respect et de protection des droits de l’homme. La CAF doit s’assurer que la décision de la FIFA reflète son engagement inébranlable envers les principes des droits de l’homme et du traitement équitable de tous les acteurs. En tenant l’Arabie saoudite responsable de ses pratiques en matière de droits de l’homme et de droits des travailleurs, la FIFA peut s’assurer que le beau jeu reste un symbole de fair-play, de respect et de dignité pour tous.
Nous vous prions instamment d’examiner sérieusement ces questions et d’agir pour protéger l’intégrité de la Coupe du monde et du beau jeu lui-même. Nous continuerons à nous mobiliser jusqu’à ce que nous assistions à une véritable réforme de la législation et de la pratique, menée par des processus inclusifs et collaboratifs.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,
Le Secrétaire général
Akhator Joel Odigie