La 104ème session de la Conférence internationale du Travail a été marquée par la reprise des travaux de la Commission d’application des Normes qui a examiné 24 cas individuels de violations des normes internationales du travail.
Dans cet entretien, le président du Groupe Travailleur du Conseil d’administration, Luc Cortebeeck, a exprimé la position des travailleurs sur les travaux de cette commission. M. Cortebeeck revient également sur d’autres thèmes discutés lors de cette session, notamment de la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, la protection sociale, la discussion sur les petites et moyennes entreprises (PME) et la création d’emplois décents et productifs, ainsi que le rapport du Directeur général sur l’avenir du travail.
Actualité | 26 juin 2015
ACTRAV INFO : La 104ème session de la CIT vient de s’achever aujourd’hui à Genève. Au niveau du groupe des travailleurs quelle lecture faites-vous du déroulement et des résultats de cette Conférence ?
Luc Cortebeeck : Nous sommes heureux car dans l’ensemble cela a été une bonne Conférence. Néanmoins, nous avons eu des difficultés liées à la durée de la cette session. Contrairement aux sessions précédentes, celle de 2015 a été réduite à deux semaines et il a donc fallu s’adapter à ce nouveau calendrier de la Conférence. Dans l’ensemble, les travaux se sont bien déroulés dans les différentes commissions sauf pour la Commission de l’application des normes où les délégués ont été obligés de travailler très tard le soir. Il faudrait donc voir s’il est possible de trouver des solutions plus adaptées afin de faciliter le travail des délégués pendant la Conférence.
Pour ce qui est de la Commission sur les PME, l’objectif était de respecter les normes internationales du travail et pour nous travailleurs, la qualité des emplois est très importante. Les conclusions obtenues à l’issue des travaux indiquent la voie à suivre vers des emplois qualitatifs pour assurer une économie durable grâce aux PME.
En ce qui concerne la Commission sur la protection sociale, il y a eu des discussions difficiles car il s’agit d’assurer une protection sociale adaptée à tous les travailleurs. Les discussions vont continuer au sein de l’OIT afin d’atteindre cet objectif.
ACTRAV INFO : Lors de cette session, la Commission de l’application des normes a discuté de 24 cas individuels relatifs à des violations des normes internationales du travail. Au niveau du Groupe Travailleur, quelle évaluation faites-vous sur les travaux de cette commission ?
LC: Dans l’ensemble, les travaux se sont biens déroulés au sein de cette commission. Nous sommes arrivés à des conclusions consensuelles sur les 24 cas; ce qui n’était plus arrivé depuis juin 2011 suite à l’attaque des employeurs sur le mandat des Experts en 2012 dont ils contestaient l’objectivité et réfutaient le fait que le droit de grève était inclus dans la convention n° 87.
Aujourd’hui, après de nombreuses négociations avec les employeurs, un consensus a été trouvé pour que le droit de grève soit reconnu, en général, parce que lié à la liberté syndicale et au droit de négociation et surtout dans des cas concrets, ce qui est prouvé dans le fonctionnement du Comité de la Liberté Syndicale. Il est possible que les employeurs continuent de contester le droit de grève comme élément de la convention n°87, mais les travailleurs vont toujours réaffirmer leur position sur le droit de grève comme partie intégrante de cette convention. Ce qui est important à noter, c’est que la Commission de l’application des normes fonctionne de nouveau ; et c’est un défi réussi lors de cette Conférence. Car pour les travailleurs qui n’ont pas la possibilité de soumettre les violations de leurs droits dans leurs pays respectifs, la Commission de l’application des normes leur offre cette possibilité.
Cette année, 24 cas individuels ont été examinés et la commission a exprimé ses attentes vers les gouvernements concernés. Par exemple pour l’Europe, il y avait des cas relatifs à la politique de l’emploi en Italie et en Espagne. La commission a lancé un appel pour le dialogue social dans ces deux pays.
Un autre exemple concerne l’enregistrement des syndicats comme le cas de l’Algérie. La commission a demandé à ce pays de réunir toutes les conditions nécessaires à l’enregistrement des syndicats. Concernant la Bolivie, il s’agit d’un sujet délicat lié au travail des enfants. Comme l’a rappelé le Prix Nobel Kailash Satyarthi, il ne peut y avoir d’exception concernant le travail des enfants. Il faut que tous les pays respectent ces droits y compris le droit à la scolarité. Dans d’autres pays comme la Mauritanie et l’Algérie, le gouvernement n’avait même pas pris la peine de aux demandes des experts. La commission leur a expliqué les démarches à suivre pour respecter les normes internationales du travail. Quant au Kazakhstan, le gouvernement a essayé de contredire les conclusions de la commission sans y parvenir. Des cas dramatiques ont été examinés comme la situation au Salvador où des syndicalistes ont été assassinés. La protection des syndicalistes reste encore un défi majeur notamment au Swaziland où des syndicalistes ont été emprisonnés et le harcèlement de syndicalistes continue au Belarus.
Ainsi, malgré quelques progrès enregistrés en matière de respect des droits des travailleurs, des problèmes liés au travail forcé, à l’esclavage, au travail des enfants persistent.
La Commission de l’application des normes est donc une opportunité pour les gouvernements, les employeurs et les travailleurs de discuter des cas de violations des normes internationales du travail. D’où l’importance que le mécanisme de supervision de l’OIT soit opérationnel pour les mandants.
ACTRAV INFO : Lors de cette conférence, le Directeur général a présenté son rapport sur l’initiative du centenaire sur l’avenir du travail. Comment évaluez-vous les discussions sur ce thème et quelles sont les propositions de suivi de la part des travailleurs sur ce thème ?
LC: Nous avons accueilli très favorablement le rapport du Directeur général pendant la Conférence car s’il s’agit de préparer l’avenir de l’OIT, l’avenir de l’emploi et du travail. Aujourd’hui, le travail continue de changer avec la digitalisation, les nouvelles technologies, le commerce en ligne, la migration, etc. On se dirige aujourd’hui vers plus de services que d’industries. Ces changements auront des conséquences sur le monde du travail y compris les travailleurs. Il est donc important de préparer ces conséquences, de prévoir le rôle de l’OIT, des gouvernements, des employeurs et des syndicats face à ces changements dans le monde du travail. Une commission sera mise en place pour définir les modalités de discussions sur ce thème dans le cadre des préparatifs du centenaire de l’OIT lors de la Conférence de 2019.
ACTRAV INFO : Finalement, la Conférence a adopté une recommandation sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Selon vous, quel pourrait être le rôle des syndicats dans le cadre de l’application de cette norme pour les travailleurs ?
LC: Cette recommandation concerne l’ensemble des travailleurs vulnérables notamment les femmes, les jeunes, les migrants, les peuples indigènes, les travailleurs domestiques, ...
Aujourd’hui plus de la moitié des personnes actives dans le monde vivent dans l’économie informelle qui existe à la fois dans les pays développés et les pays du sud. Les gouvernements, avec les partenaires sociaux, vont donc définir le travail informel dans leurs pays respectifs, analyser les moyens et possibilités nécessaires pour assurer la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Chaque pays doit analyser sa situation par rapport à ce thème pour offrir un travail et un salaire décent aux travailleurs car l’économie informelle soulève des questions liées au renforcement de la sécurité sociale, la protection sociale, le salaire minimum permettant de vivre réellement. Cette recommandation est un pas important pour faciliter cette transition de l’économie informelle vers l’économie formelle.
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