AFRICAN REGIONAL ORGANISATION OF THE
INTERNATIONAL TRADE UNION CONFEDERATION Creating a better world for workers in Africa and beyond

Elections et crises électorales en Afrique

Elections et crises électorales en Afrique

Introduction

Depuis la vague d’élections, qui a instauré la démocratie multipartite en Afrique dans les années 1990, des avancées significatives ont été faites pour consolider la démocratie. Des régimes militaires ont été combattus par le peuple qui a réussi à les évincer, et l’on a convenu que plus jamais un régime militaire ne sera accepté. En conséquence, les peuples et les sociétés africains ont embrassé la démocratie comme ‘le seul jeu de la cité’ et les mandats ainsi que la légitimité du pouvoir ne seront conférés à des individus et partis politiques qu’à travers les urnes. Tout cela était en partie dû à la conviction de la société civile africaine qu’une société démocratique pluraliste contribuera considérablement à la promotion et à la réalisation de la bonne gouvernance.

Cependant, à peine une décennie après ce regain d’espoir, les développements observés dans différents pays en ce qui concerne les élections et les résultats des élections ont dissipé ces espoirs. En outre, les expériences de la Somalie, du Zimbabwe, du Kenya et, maintenant, de la Côte d’Ivoire montrent que les événements relatifs à l’organisation des élections et à leurs résultats constituent des menaces sérieuses et réelles pour la démocratie, la paix et la stabilité dans les pays, en particulier, et en Afrique, en général. Ces affirmations et cette appréhension sont plus réelles et urgentes quand on tient compte du fait qu’environ 20 élections sont prévues en Afrique en 2011.

La Côte d’Ivoire, un signal

Après le scrutin présidentiel du 28 novembre 2010 en Côte d’Ivoire, les Nations Unies, qui étaient chargées de valider le processus électoral avec la Commission électorale indépendante, ont annoncé qu’Alassane Ouattara avait gagné avec 54,1 pour cent des voix contre 45,9 pour cent pour Laurent Gbagbo, le président en exercice. Cependant, le Conseil constitutionnel a annulé les résultats dans 13 circonscriptions électorales sous prétexte qu’il y avait des fraudes, et déclaré que Gbagbo était le vainqueur avec 51,4 pour cent des voix. Ouattara avait été crédité de 48,5 pour cent des voix. Ouattara et Gbagbo ont été investis présidents par leurs supporteurs. Ainsi, la Côte d’Ivoire avec deux présidents, est actuellement empêtré dans un imbroglio politique délicat.

La plupart des communautés internationales et régionales ont reconnu Ouattara gagnant, et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Africaine (UA) ont suspendu l’adhésion de la Côte d’Ivoire. Les appels lancés par Gbagbo pour mener une enquête sur les fraudes électorales, recompter les bulletins et prendre des dispositions pour le partage du pouvoir ont été rejetés par les institutions internationales et régionales. Les représentants de la CEDEAO et de l’UA ont plutôt exhorté Gbagbo à démissionner. Des sanctions financières et une interdiction de voyage ont été prononcées contre lui et ses associés, et la CEDEAO a brandi la menace d’une intervention militaire.

Au moment où le présent rapport était en train d’être rédigé, des combats ont éclaté entre les militaires, les jeunes patriotes, qui soutiennent Gbagbo, et les Forces nouvelles qui supportent Ouattara. Les rues d’Abidjan et d’autres villes sont redevenues des champs de bataille. Une autre guerre civile est imminente. Les coûts humains et sociaux de ces attaques sont troublants et considérables.
Certaines des questions que le cas ivoirien a suscitées incluent ce qui suit : comment est-ce que les Etats africains peuvent réaliser des élections libres et transparentes ? Comment empêcher l’approche de la politique africaine où le vainqueur rafle tout ? Comment devons-nous réagir aux candidats qui réagissent violemment aux résultats électoraux ? Et en termes plus généraux, comment les chefs peuvent-ils être encouragés à accepter la défaite ? Comment la communauté internationale devrait-elle répondre aux chefs qui font usage de violence pour se maintenir au pouvoir ? Comment devrions-nous en tant qu’Africains (et en particulier en tant qu’organisations syndicales) réagir lorsque des conflits électoraux se produisent ? Ces questions nous amèneront à aborder brièvement un phénomène considéré comme une solution au conflit électoral, le ‘partage du pouvoir’. La question de l’attitude des politiciens est peut-être aussi importante pour l’analyse et une meilleure compréhension de la violence électorale.

Quelques causes de violence et de crises électorales
Attitude générale des politiciens

Les élections sont de plus en plus devenues une question de vie ou de mort où les politiciens utilisent tous les moyens y compris des tactiques injustes pour ‘capturer’ le pouvoir. Le langage des élections devient de plus en plus violent, incite à la violence et est dénué de toute retenue et du bon sens. On dit que l’élection, c’est la guerre et seul le gagnant est un bon stratège. Les perdants font face tout seuls à leur défaite et sont traités comme des ennemis du gouvernement et de l’Etat.

Il y a également la culture du déni de la défaite. Presque toutes les élections organisées sur le continent ont été contestées par l’opposition et par les perdants. Et au lieu de travailler ensemble pour faire avancer le pays après les élections, les candidats et les partis passent le temps et consacrent des ressources précieuses à se « mettre les battons dans les roues » et à diviser davantage leurs supporteurs et les citoyens en général.

Le désir de gagner à tout prix et les énormes déficits de gouvernance démocratique que l’on constate actuellement accréditent l’idée selon laquelle l’élection est un moyen pour accéder au pouvoir, ce qui permet ensuite aux politiciens élus de piller les richesses des pays. La politique, les élections et le leadership sont perçus comme des moyens d’enrichissement. Ainsi pour les politiciens, tous les moyens utilisés pour gagner sont bons y compris les considérations ethniques et religieuses qui servent d’outils de mobilisation d’appui et de voix.
La faiblesse des institutions électorales et de la législation a également été identifiée parmi les causes des crises électorales sur le continent. C’est le cas de la Côte d’Ivoire où les règles n’ont pas été exclusivement définies et où les pouvoirs de la commission électorale n’ont pas été effectivement définis. Par exemple, les règles étaient ambiguës en ce qui concerne les rôles de la commission électorale, du Conseil constitutionnel et de la Mission d’observation des Nations Unies. Les politiciens dénoncent rapidement ces lacunes, pourtant on ne peut pas leur pardonner puisqu’ils y ont contribué.

Certaines de ces causes font penser à la mise en place d’un organe électoral régional qui sera chargé d’organiser les élections pour tous les pays du continent. Ce serait une structure de l’Union Africaine qui aurait une autonomie et un pouvoir relatifs. Les membres de l’UA devront également céder une partie de leur souveraineté à cette structure. Et à travers cela, le processus d’intégration sera renforcé, le coût des élections sera largement réduit et les conflits et crises auront été jugulés.

Le partage du pouvoir, un précédent dangereux

En 2010, les candidats de l’opposition ont dénoncé la fraude et des irrégularités électorales dans chaque élection présidentielle en Afrique – en Guinée, au Togo, au Soudan, au Burundi, au Burkina Faso, en Egypte, aux Comores, en Tanzanie, et au Rwanda. Traditionnellement, dans de nombreux cas de fraude électorale, le challengeur préconise des manifestations ou refuse de reconnaître les résultats. En cas d’impasse prolongée et violente, des médiateurs sont envoyés, comme ce fut le cas en Guinée en 2010, ou un accord de partage du pouvoir est négocié, comme ce fut le cas au Kenya et au Zimbabwe en 2008, au Togo en 2005, à Madagascar en 2002 et à Zanzibar en 2001.
Alors que les accords de partage du pouvoir dans ces cinq cas visaient à arrêter la violence et à aborder certaines causes sous-jacentes, de tels arrangements pourraient avoir des implications durables ; il faudrait plutôt envisager des mesures transitoires plus courtes. Si le principe est acquis, un électorat peut voter pour un partage du pouvoir ou un gouvernement proportionnellement représentatif.

Cependant, les expériences de partage du pouvoir au Zimbabwe et au Kenya laissent à désirer. En outre, les accords de partage du pouvoir sont plus perçus comme des questions à résoudre entre les candidats en lice et leurs partis. D’autres parties prenantes importantes sont essentiellement exclues pendant et après les négociations. Ce que l’on remarque est qu’au lieu de trancher dans l’intérêt des citoyens, les bénéficiaires de l’accord de partage du pouvoir s’évertuent à fomenter des plans pour infliger la défaite à l’autre partenaire ou parti et à l’ébranler.

Des problèmes peuvent également surgir lorsque le partage du pouvoir est imposé comme une solution quand il y a clairement un vainqueur. Cela pourrait également encourager la fraude et une situation où il faudrait gagner à tout prix, surtout lorsque le vainqueur ne peut pas être déterminé. Et en cas de violence postélectorale, cela peut démontrer que la violence paie. Il serait donc inquiétant si les candidats et les partis politiques commencent maintenant à s’engager dans une élection en se disant qu’un accord de partage du pouvoir pourrait être une porte d’accès au pouvoir.

Le Conseil général est appelé à prendre également en compte la question de la responsabilité et de la justice à la suite de la violence électorale. Les victimes de la violence électorale au Zimbabwe, en Guinée, au Kenya et en Côte d’Ivoire (pour les cas récents) ont été en grande partie privées de justice, tandis que les auteurs se promènent librement sans être inquiétés.

De même, le Conseil général doit noter que pour le reste de 2011, l’Afrique fera face à plus de 30 élections et référendums dans 23 pays, y compris des pays qui ont une histoire de violence et d’institutions démocratiques faibles, tels que le Nigéria, le Zimbabwe et la République Démocratique du Congo. Une norme de partage du pouvoir, en cas de violente contestation des résultats électoraux, pourrait être un précédent dangereux.

Cependant, le Conseil général, tout en continuant à louer et saluer les rôles progressistes et patriotiques qu’ont joué les organisations syndicales en Guinée et au Niger récemment, doit également prendre la résolution d’identifier, d’emprunter et de répéter les leçons tirées de leurs interventions pour réaliser des résultats semblables.

Le rôle de la société civile – et des syndicats

Les divisions politiques et géographiques font que la société civile ivoirienne a des difficultés à agir comme une force conjointe, pour la paix. Les voix modérées, soucieuses de jeter un pont au-dessus des clivages régionaux et politiques, ne sont pas entendues. Il est important de constater que ‘Ouattara n’a pas obtenu une victoire écrasante. Un nombre considérable d’électeurs, presque 46 pour cent, ont soutenu Gbagbo. Les raisons pour lesquelles ils ont soutenu Gbagbo reflètent, entre autres, les divisions régionales, ethniques et religieuses existant en Côte d’Ivoire. Si Gbagbo ou Ouattara sort gagnant de l’impasse actuelle, le prochain président fera face à un électorat profondément divisé qui contestera son pouvoir. Ainsi, cette élection, qui était censée résorber les divisions entre le Nord et le Sud, aura failli à cette mission. Pour le moins, un ingrédient principal pour éviter la guerre en Côte d’Ivoire est de réconcilier ces communautés divisées. Les voix modérées de la société civile peuvent jouer un rôle capital en commençant le processus de réconciliation. Cela a été constaté au Kenya où les syndicats sous la bannière de la centrale syndicale nationale ont constitué une plate-forme pour rallier le peuple et la communauté internationale afin qu’ils fassent pression sur les politiciens et les partis politiques. Les efforts des organisations syndicales en Guinée et au Niger ont été une preuve irréfutable de l’efficacité de la société civile et des modérés quant à l’atténuation de la tension et à la réalisation de résultats électoraux libres, justes et acceptables.

Malheureusement, hélas, la situation politique, sociale et économique actuelle de la Côte d’Ivoire continue de se détériorer et les craintes d’une guerre civile prochaine sont fortes et très perceptibles dans les airs. Des actions d’urgence sont nécessaires, et les syndicats doivent servir d’interprètes et de plate-forme à de telles actions comme ils l’ont fait progressivement et, parfois, avec succès dans le passé.

Medias