En nous ralliant à la communauté mondiale pour célébrer la Journée mondiale de l’alimentation cette année, nous nous rappelons que la faim reste l’un des défis majeurs à relever à notre époque, en particulier en Afrique. Nous devons regarder la réalité en face : des millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition. Cette journée [solennelle] est l’occasion de réaffirmer la nécessité urgente de transformer le système alimentaire mondial pour le mettre au service de ceux qui produisent nos aliments – les paysans, les petits agriculteurs et les communautés autochtones –, tout en protégeant leurs droits, leur dignité et leurs moyens de subsistance.
Il ne faut pas considérer la nourriture comme un produit que l’on peut troquer selon les caprices du marché : le droit à l’alimentation est un droit de l’homme. En Afrique, de nombreuses populations ne jouissent pas de ce droit car les systèmes alimentaires sont devenus plus industriels et contrôlés par les entreprises. Cette situation érode les pratiques agricoles traditionnelles et affaiblit les petits agriculteurs.
En effet, l’Afrique, qui regorge de terres arables parmi les plus fertiles de la planète, est prise dans un engrenage d’insécurité alimentaire depuis des décennies. Nos systèmes alimentaires sont à la croisée des chemins. De nombreux défis et chocs exogènes, notamment les infestations récurrentes de ravageurs et de maladies, les pénuries et l’introduction de technologies visant à améliorer les rendements, ont non seulement mis en évidence les vulnérabilités des systèmes alimentaires, mais également mis à mal leur capacité à répondre aux besoins alimentaires d’un continent à la démographie croissante.
La marginalisation des petits exploitants agricoles africains, qui assurent près de 80 % de la production agricole du continent, est toujours d’actualité. Ils sont confrontés à des problèmes systémiques tels que le manque d’accès aux terres et aux capitaux, la médiocrité des infrastructures et des marchés, entre autres. Pourtant, ces agriculteurs sont les véritables gardiens de la souveraineté alimentaire. Ils produisent des cultures très diversifiées, utilisent les connaissances autochtones pour gérer leurs terres et accordent la priorité à la sécurité alimentaire locale plutôt qu’aux modèles axés sur l’exportation.
Toutefois, s’ils bénéficiaient d’un régime foncier plus sûr et d’un accès aux semences et à l’irrigation, leur capacité à produire des aliments et à nourrir leur famille resterait intacte. Les accaparements de terres à grande échelle, souvent orchestrés par de puissantes entreprises agroalimentaires, menacent la souveraineté alimentaire du continent en délogeant de nombreux agriculteurs africains, auxquels ils prennent également leurs terres.
Par ailleurs, la crise climatique a exacerbé les difficultés auxquelles les producteurs alimentaires d’Afrique sont confrontés. Les petits agriculteurs en sont les plus durement touchés en raison de la variabilité des précipitations, des phénomènes météorologiques extrêmes et de la dégradation des sols. Alors que les sécheresses ravagent le Sahel, les inondations détruisent les champs en Afrique de l’Est et en Afrique australe, et la hausse des températures réduit les récoltes sur l’ensemble du continent.
Nous demandons à nos gouvernements d’investir dans des techniques agricoles plus durables, qui s’inspirent des écosystèmes africains, et de veiller à ce que ceux qui travaillent la terre soient dotés des outils et des ressources dont ils ont besoin pour prospérer dans un contexte de changement climatique. Les politiques de nos gouvernements devraient encourager les petits producteurs, garantir un accès équitable à la terre et aux semences, promouvoir des pratiques agricoles durables et protéger les communautés rurales de l’exploitation. Des subventions durables pour les agriculteurs devraient être envisagées pour soutenir les efforts de sécurité alimentaire du continent. Nous rejetons la tendance à imposer les organismes génétiquement modifiés (OGM) dans le système d’approvisionnement alimentaire du continent africain.
Nous devons investir dans des systèmes alimentaires locaux qui soutiennent les marchés communautaires, mais aussi renforcer les infrastructures de transformation et de stockage des aliments et mettre les producteurs africains en contact direct avec les consommateurs africains.
Dans le contexte des défis croissants de l’insécurité alimentaire en Afrique, il convient de noter que les programmes d’alimentation scolaire sont essentiels à la protection de la santé et de l’avenir de nos enfants. Ces programmes, qui sont mis en œuvre dans des pays tels que le Ghana, le Kenya et l’Afrique du Sud, assurent à des millions d’élèves des repas essentiels. Ils contribuent ainsi à lutter contre la malnutrition, à améliorer les résultats scolaires et à promouvoir la fréquentation scolaire, en particulier dans les zones rurales et à faibles revenus. Nous plaidons en faveur de la souveraineté alimentaire, de la protection des droits des agriculteurs et de l’amélioration des investissements dans ces programmes en vue de leur durabilité, de leur résilience et de leur capacité à atteindre tous les enfants qui en ont besoin.
En cette Journée mondiale de l’alimentation, nous renouvelons notre appel aux gouvernements africains en faveur de :
• La formulation et de la mise en œuvre de politiques qui répondent aux défis émergents de l’agriculture et des systèmes alimentaires.
• L’accélération de l’adoption et de la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) afin de prévenir les ruptures d’approvisionnement alimentaire.
• La création d’un environnement politique favorable au secteur financier en vue de permettre aux agri-PME d’avoir accès à un plus grand nombre d’outils financiers et commerciaux.
• L’extension des programmes de protection sociale aux agriculteurs, en particulier ceux qui vivent dans les zones rurales.
• L’augmentation des investissements dans les infrastructures de marché et d’autres mécanismes d’incitation qui aident les agriculteurs africains à adopter des pratiques résilientes au changement climatique, y compris le reboisement et la remise en état des terres.
Signé Akhator Joel Odigie, Secrétaire général, CSI-Afrique, Lomé - Togo, le 16 octobre 2024,