1 Introduction
La migration est un phénomène humain naturel qui joue depuis longtemps un rôle essentiel dans le développement humain, la croissance économique et les échanges culturels. Elle contribue à pallier les pénuries de main-d’œuvre sur divers marchés et constitue une stratégie vitale de subsistance et de survie pour de nombreuses personnes [et communautés]. La migration constitue une stratégie essentielle de subsistance pour de nombreuses femmes africaines en quête d’opportunités économiques, tant sur le continent qu’à l’étranger. Si elle offre des perspectives d’autonomie financière et d’amélioration des conditions de vie, les conditions de travail auxquelles sont confrontées les migrantes africaines demeurent souvent précaires. Nombre d’entre elles subissent l’exploitation, la discrimination et les abus, en particulier dans les secteurs du travail domestique, du commerce informel et des services peu qualifiés Cette recherche fondée sur l’expérience vise à examiner les conditions de travail des femmes migrantes africaines, en mettant en lumière leurs défis, leurs contributions économiques, les spécificités de leur expérience migratoire en tant que femmes, ainsi que les cadres juridiques et politiques qui régissent leur mobilité. L’étude explorera les perspectives des syndicats africains sur la migration de travail et les expériences vécues par les femmes migrantes africaines. Elle comparera également la migration intra-africaine à la migration extra-africaine, en soulignant les défis distincts propres à chaque contexte. Cette étude approfondie portera sur 20 pays africains. Elle examinera également le rôle des syndicats dans la lutte contre les récits négatifs sur la migration, l’atténuation de ses effets néfastes et la promotion de la protection des droits des travailleuses migrantes.
2 Enoncé du problème
A l’échelle mondiale, les femmes représentent près de la moitié de la population migrante, mais leurs expériences migratoires et conditions de travail diffèrent souvent considérablement de celles des hommes (OIT, 2021). En Afrique, la féminisation croissante de la migration a conduit un nombre accru de femmes à migrer de manière autonome pour travailler. Toutefois, elles sont souvent confrontées à des vulnérabilités particulières [et accentuées]. Les migrantes africaines, notamment celles employées comme travailleuses domestiques, aides-soignantes, commerçantes ou dans les services peu qualifiés, sont particulièrement exposées à l’exploitation (Adepoju, 2020). Cette exploitation est particulièrement répandue dans le travail domestique, où les femmes subissent des charges de travail excessives, des violences physiques et sexuelles, des vols de salaire et un accès limité à la justice (ONU Femmes, 2021). Une étude intitulée Migration de la main-d’œuvre africaine vers les pays du CCG (CSI-Afrique, 2018) a mis en évidence des conditions tout aussi éprouvantes rencontrées par les migrants africains, et devrait constituer une référence incontournable pour la présente recherche. Au Moyen-Orient, le système de kafala expose les travailleuses domestiques africaines à des conditions assimilables à de l’esclavage moderne. Nombre d’entre elles sont confinées au domicile de leurs employeurs, contraintes de travailler sans rémunération et privées de la liberté de partir ou de chercher de l’aide (MFA, 2019). En Afrique, les travailleuses migrantes sont fréquemment confrontées à la xénophobie, au travail informel sans contrat, et à des salaires nettement inférieurs à ceux des travailleurs locaux. Dans certains cas, les travailleuses migrantes africaines sont victimes de traite, trompées par des agences de recrutement ou réduites à la servitude pour dettes (OIM, 2022).
Des obstacles juridiques et politiques restreignent également leur parcours migratoire. Dans certains pays africains, des lois discriminatoires fondées sur le genre rendent difficile l’obtention de passeports ou le droit de voyager sans le consentement d’un homme, contraignant ainsi de nombreuses femmes à emprunter des voies de migration irrégulière, sans aucune protection juridique. Dans le but de prévenir les abus à l’étranger, certains pays ont imposé des interdictions de migration aux femmes. Toutefois, ces restrictions produisent souvent l’effet inverse, en poussant les femmes à emprunter des voies migratoires plus dangereuses et non réglementées (OIT, 2020). Parallèlement, les pays de destination offrent rarement une protection sociale aux migrantes, en particulier dans le secteur du travail domestique, ce qui renforce leur vulnérabilité à l’exploitation. Les initiatives récentes de l’Union africaine, telles que le Cadre politique de migration pour l’Afrique (MPFA) et le Programme conjoint sur la migration de main-d’œuvre (JLMP), constituent des avancées cruciales pour le renforcement du cadre de plaidoyer en faveur de la protection des travailleuses migrantes.
Malgré les nombreux défis auxquels elles sont confrontées, les femmes migrantes africaines contribuent de manière significative aux économies de leurs pays d’origine par le biais des envois de fonds, en envoyant souvent une part plus importante de leurs revenus que les hommes (Banque mondiale, 2021). Toutefois, leur sécurité financière est compromise par les vols de salaire, les retards de paiement et la mauvaise gestion des fonds qu’elles envoient à leurs familles, ce qui entraîne fréquemment des cycles de ré-migration.
Au-delà des difficultés économiques, les travailleuses migrantes africaines font face à des défis socio-économiques particuliers, liés à leur rôle dans la société. Nombre d’entre elles sont les principales pourvoyeuses de leur famille et jonglent sans cesse entre responsabilités financières et obligations liées aux soins. Une proportion importante de ces femmes provient de milieux ruraux et défavorisés, où l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle est limité, les poussant vers l’emploi informel [et précaire] (OIT, 2021). Les attentes traditionnelles et culturelles quant au rôle des femmes dans la famille accentuent leur stress, car elles sont censées subvenir aux besoins financiers tout en maintenant, à distance, des liens affectifs et des responsabilités liées aux soins. Dans de nombreuses sociétés africaines, les réseaux familiaux élargis dépendent fortement des revenus des femmes migrantes, ce qui aggrave davantage leurs pressions financières et émotionnelles (Adepoju, 2020).
3 Migration à l’intérieur du continent africain et vers l’extérieur
Les femmes migrantes au sein du continent africain bénéficient des protocoles régionaux de libre circulation, notamment dans le cadre de la CEDEAO et de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Toutefois, malgré ces accords, elles continuent de faire face à d’importants défis, tels que l’emploi informel, l’insécurité de l’emploi et la discrimination fondée sur le genre. Les femmes migrantes engagées dans le commerce transfrontalier informel sont souvent victimes de racket de la part des agents frontaliers et des autorités locales (OIM, 2022). Par ailleurs, la xénophobie et la discrimination raciale restent largement répandues sur le continent, compromettant davantage la stabilité économique et la sécurité des migrantes africaines.
Les femmes qui migrent hors d’Afrique, en particulier vers les États du Golfe, l’Europe et l’Amérique du Nord, sont exposées à des risques encore plus élevés. Le système de kafala au Moyen-Orient, combiné aux politiques migratoires restrictives en Europe, laisse de nombreuses femmes piégées dans des situations de travail forcé, avec peu ou pas de recours juridique (ONU Femmes, 2021). La traite des femmes africaines vers les marchés du travail étrangers sous de fausses promesses d’emplois bien rémunérés aggrave encore leur vulnérabilité (MFA, 2019). Des stéréotypes et récits négatifs à l’encontre des travailleuses et travailleurs migrants africains sont également construits et perpétués. Ces récits nuisibles affectent de manière disproportionnée les femmes par rapport aux hommes, souvent mieux placés pour se défendre. Pour les travailleuses migrantes domestiques, la nature de leur lieu de travail — principalement des foyers privés — exacerbe encore leur vulnérabilité. Leur relative invisibilité rend plus difficile l’accès à la réparation et à la justice.
4 Rôle des syndicats
Les syndicats jouent un rôle crucial dans l’atténuation des effets négatifs de la migration sur les travailleuses africaines. Ils militent en faveur d’une amélioration des conditions de travail, de salaires équitables et de mesures de protection contre l’exploitation et les abus. Les syndicats jouent un rôle clé dans la prise en charge des questions liées au travail des migrants :
• Plaider et faire pression auprès des gouvernements pour améliorer les législations du travail, en veillant à ce que les migrants africains, qu’ils se déplacent à l’intérieur du continent ou vers l’extérieur, bénéficient d’une protection égale en vertu des lois sur l’emploi.
• Fournir une aide juridique et des services de soutien aux femmes migrantes confrontées au vol de salaire, aux licenciements abusifs et aux abus sur le lieu de travail.
• Renforcer les compétences professionnelles, l’alphabétisation financière et la connaissance des droits des migrantes afin de mieux les protéger contre l’exploitation.
• Collaborer à travers l’Afrique et avec des partenaires internationaux pour suivre les cas d’abus contre les travailleurs migrants, promouvoir des réformes politiques et mettre en place des mécanismes de protection pour les migrants africains.
• Créer des comités de travailleurs migrants, notamment dans des régions comme le Moyen-Orient où ils ont historiquement été privés du droit de former ou de rejoindre des syndicats, afin de leur offrir des services de soutien, des réseaux communautaires et des canaux de plaidoyer en faveur des femmes migrantes africaines.
5 Objectifs de l’étude
Les objectifs suivants sous-tendent la réalisation de cette étude :
• Contribuer à la documentation des expériences des travailleuses migrantes africaines, essentielle à la production de connaissances et de ressources de référence.
• Recueillir des connaissances et des informations indispensables pour renforcer et approfondir les campagnes de plaidoyer des syndicats africains visant à changer les récits négatifs autour de la migration de main-d’œuvre et de ses dérives.
• Contribuer à une meilleure défense, protection et promotion des droits des femmes migrantes.
• Mettre en valeur la contribution des syndicats africains à la promotion des droits des travailleuses et à la cause de la justice sociale.
6 Résultats attendus
L’étude vise à atteindre les résultats suivants :
• Une documentation complète des expériences, des défis et des réalités auxquels les travailleuses migrantes africaines sont confrontées.
• Un renforcement de la compréhension et une sensibilisation accrue aux contributions des syndicats à la protection des droits du travail des femmes migrantes.
• Une amélioration de la collaboration entre les syndicats, les organisations de la société civile, les agences de recrutement, les employeurs et les organismes gouvernementaux.
• Un changement positif dans les récits entourant la migration de main-d’œuvre, reconnaissant et valorisant les contributions économiques et sociales des femmes migrantes.
• Des recommandations politiques concrètes à l’intention des parties prenantes pour améliorer les conditions de vie et de travail des femmes migrantes.
7 Méthodologie
Cette recherche adoptera une approche méthodologique mixte, combinant des méthodes qualitatives et quantitatives afin d’acquérir une compréhension globale des conditions de travail des migrantes africaines, à partir de leurs expériences et des actions entreprises par les syndicats pour répondre aux défis auxquels elles sont confrontées. Le recours à l’analyse quantitative traduit un effort pragmatique visant à répondre au déficit persistant en matière de production de données, justifiant ainsi son inclusion dans cette étude.
Une analyse documentaire sera réalisée pour examiner la littérature existante, les documents de politique publique et les normes internationales du travail relatives à la migration et aux droits des femmes. Des données secondaires seront également collectées auprès d’organisations telles que l’Organisation internationale du Travail (OIT), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et les instituts nationaux de statistique.
La collecte de données primaires impliquera la conduite d’entretiens avec des informateurs clés auprès de parties prenantes pertinentes, notamment des responsables gouvernementaux, des représentants syndicaux, des organisations de défense des droits humains et les migrantes elles-mêmes. Des enquêtes et des questionnaires seront également utilisés pour recueillir des données quantitatives sur les conditions d’emploi, les écarts de salaire et les défis socio-économiques auxquels sont confrontées les migrantes africaines.
Des études de cas seront également réalisées pour fournir des analyses approfondies de parcours migratoires spécifiques, des conditions de travail et des mécanismes d’adaptation mis en œuvre par les migrantes africaines. Des groupes de discussion seront organisés avec des femmes migrantes, des syndicats et des organisations de plaidoyer afin de recueillir des expériences collectives et d’éclairer l’élaboration de recommandations politiques concrètes.
L’étude portera sur 20 pays africains, à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Ghana, la Guinée, le Kenya, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone, la Somalie, la Tanzanie, le Togo, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe.
Le rapport final de l’étude sera présenté dans un format clair, accessible et non technique, afin que ses recommandations soient facilement comprises et puissent être efficacement mises en œuvre pour favoriser un changement positif.
8 Axes clés de la recherche
Phase prémigratoire
L’étude explorera les conditions socio-économiques, les attentes culturelles, les dynamiques familiales et les processus de prise de décision qui influencent les choix migratoires des femmes. Elle examinera également les facteurs juridiques et structurels, notamment l’accès aux passeports, les pratiques de recrutement et les lois discriminatoires fondées sur le genre, qui orientent et limitent les parcours migratoires des femmes.
Phase migratoire
Cette partie de l’étude examinera les expériences vécues par les migrantes durant leur périple, notamment l’exposition à la traite, à la tromperie, à la servitude pour dettes, ainsi que les abus de la part des agences de recrutement et des agents frontaliers. Elle comparera la migration intra-africaine (dans les zones CEDEAO et EAC, par exemple) à la migration extra-africaine, en mettant particulièrement l’accent sur les conditions imposées par le système de kafala au Moyen-Orient et sur les politiques migratoires restrictives en Europe et en Amérique du Nord. L’étude portera également sur les conditions de travail, le vol de salaire, le travail forcé, ainsi que les obstacles à l’accès à la protection juridique auxquels les femmes migrantes sont confrontées.
Phase post-migratoire
L’étude examinera les défis auxquels les femmes migrantes de retour sont confrontées, notamment la réintégration socio-économique, l’impact des envois de fonds sur les économies domestiques, l’insécurité financière résultant d’une mauvaise gestion des revenus, ainsi que les pressions socio-culturelles liées à la responsabilité de s’occuper des autres à distance.
9 Produits attendus
• Un rapport de recherche détaillé fournissant une analyse approfondie et des recommandations politiques concrètes.
• Des résumés non techniques et des notes d’information conçus pour une large diffusion et une utilisation efficace dans le cadre des actions de plaidoyer.
• Des sessions de dialogue politique et des forums de concertation avec les parties prenantes, facilités par les syndicats, [afin de promouvoir une action collective].
10 Calendrier
La recherche devrait être achevée dans un délai de quatre mois. Les échéances spécifiques et les étapes clés seront définies en concertation avec l’équipe de recherche retenue.
11 Qualifications du/de la chercheur(e)
• Expérience avérée dans les domaines des études sur la migration, de l’économie du travail, des études de genre ou dans des disciplines connexes.
• Solide maîtrise des méthodologies de recherche qualitative et quantitative.
• Capacité démontrée à interagir efficacement avec les communautés de migrants, les syndicats et les décideurs politiques.
12 Rapportage
L’équipe de recherche rendra compte directement au Directeur exécutif de l’Institut africain de recherche et d’éducation ouvrière (ALREI). Des rapports d’étape seront exigés tout au long de la période de recherche, avec un rapport final complet à soumettre à la fin du projet.
13 Budget
L’équipe de recherche est tenue de soumettre une proposition budgétaire détaillée précisant clairement les coûts liés au personnel, à la collecte de données, aux consultations des parties prenantes, à l’analyse des données, à la rédaction du rapport et aux activités de diffusion.
14 Soumission des candidatures
Toutes les propositions techniques et financières doivent être soumises par courriel à l’adresse suivante:hod.anyigba@ituc-africa.org au plus tard le 15 mai 2025.
Références
Adepoju, A. (2020). Migration in Sub-Saharan Africa: Trends, Challenges, and Policy Responses. African Books Collective.
International Labour Organization. (2020). Promoting fair migration policies in Africa. Geneva: ILO.
International Organization for Migration. (2022). World Migration Report 2022. Geneva: IOM.
Migrant Forum in Asia. (2019). The Kafala System and Its Impact on African Migrant Domestic Workers.
UN Women. (2021). Women on the Move: Migration, Gender, and Development in Africa. New York: UN Women.
World Bank. (2021). Migration and Remittances: Recent Developments and Outlook. Washington, DC: World Bank.